Gommer l’œuvre de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, est ma démarche artistique.
Au rythme d’une page quotidienne, protocole rigoureux, j’efface à la gomme à encre, dans la collection blanche de Gallimard, une série des sept tomes de ce roman. Rituel scriptoclaste, travail à long terme, progression lente, minutieuse et méthodique, dont il est possible de dater l’achèvement avec exactitude. À ce geste minimal, absurde, obsessionnel –simple acte de présence– s’ajoute la nécessité de rééditer au fur et à mesure, suivant le chapitrage décidé par l’auteur, l’ouvrage proustien dans sa version estompée. Un monument en ruine dont procède la réalisation de livres d’artiste à tirage limité. Du reste, la décomposition du texte –miettes graphiques, fragments de mots, bribes de phrases ou lambeaux de pensées– incarne la résistance de l’œuvre originale aux caresses abrasives de mon outil privilégié, résultat semi aléatoire d’un libre mélange de choix spontanés.
Au fil des pages, les mots s’estompent et se mélangent en une substance bleutée, à la fois poudre de gomme et grain de papier.
Autour de cette procédure relativement conceptuelle se développe néanmoins une œuvre plastique et littéraire diversifiée. Musicale aussi, dans la mesure où le quatrième opus de mes éditions inclut un enregistrement sonore de l’effritement mélancolique, ou « variation à la gomme ». L’ensemble traduit une recherche du bon degré d’effacement, quête ambiguë, mise en abîme au croisement du culte, de l’hommage, et de la table rase, gommage. D’où le titre générique de mon ouvrage : ommage.
Jérémie Bennequin